Youri Gagarine, le premier homme dans l'espace : Exploits et anecdotes

Il y a 60 ans à peine, dans la matinée du 12 Avril 1961, le cosmonaute Youri Alexeïvitch Gagarine s’envolait de Baïkonour au Kazaghstan, dans le cadre de la mission Vostok 1, et réalisait le premier vol spatial habité de l’histoire. Cet évènement majeur ayant à jamais marqué les esprits possède sa version officielle, mais également ses coulisses et ses détails surprenants, que peu de monde connaît !

Un P comme peinture

Avant le lancement de Vostok, au moment où Youri quittait la salle de préparation, Evgeny Karpov, chef du Centre de Préparation, l’interpelle et ordonne que l’on apporte de la peinture rouge ainsi qu’un pinceau, afin de peindre directement sur le scaphandre du cosmonaute le signe CCCP (acronyme russe d’URSS), puisqu’il était parfaitement envisageable à l’époque qu’un homme en tenue excentrique (Youri était alors équipé de sa grosse combinaison orange SK-1) soit sans signe d’appartenance soviétique considéré comme un afabulateur ou pire comme un espion. Ainsi lorsque Youri rentra dans sa fusée, la peinture sur le front de son casque était encore fraîche !

Youri dans le bus affublé de sa combinaison SK-1
Youri dans le bus affublé de sa combinaison SK-1
Le cosmonaute, affublé de sa fameuse combinaison SK-1 (avec un scaphandre blanc comme neige !)

Le premier des rituels

A l’intérieur du bus qui l’emmenait vers le pas de tir, il se trouve que Gagarine ressentit soudain une envie pressante. Il demanda donc au chauffeur de s’arrêter à mi-chemin, au beau milieu de la steppe, et alla se soulager sur la roue arrière-droite du véhicule. Un rituel que tous les autres astronautes après lui de passage au cosmodrome réiteront systématiquement, pour faire honneur à ce héros qui possède d’ailleurs son propre musée à Baïkonour.

Une histoire de fous

Comme personne ne s’était rendu auparavant dans l’espace, on ne savait absolument pas comment un cosmonaute s’y comporterait : c’était donc un saut dans l’inconnu pour les soviétiques. En plus, il y avait une croyance très en vogue qui affirmait qu’un séjour dans l’espace provoquerait folie et « démence spatiale » incontrôlables. On craignait que Gagarine perde la raison et précipite sa perte ainsi que celle de sa capsule ! Pour palier à cet éventuel problème qui pourrait coûter la vie au cosmonaute, une enveloppe fut insérée dans le module Vostok, renfermant un problème mathématique. Youri devait ainsi le résoudre pour faire passer le guidage du Vostok du mode automatique à manuel.

Module Vostok (Восток) qui transporta Gagarine dans l'espace. Il est composé d'un module de commande (à peine deux mètres de diamètre) où se trouve assis le cosmonaute sur un siège ejectable, et d'un module de service, renfermant le carburant et des moteurs (celui-ci devant être séparé de l'autre lors de la désorbitation)
Module Vostok (Восток) qui transporta Gagarine dans l'espace. Il est composé d'un module de commande (à peine deux mètres de diamètre) où se trouve assis le cosmonaute sur un siège ejectable, et d'un module de service, renfermant le carburant et des moteurs (celui-ci devant être séparé de l'autre lors de la désorbitation)

"Поехали ! / Poyehali ! / Allons-y !"

Vol vers l'inconnu

Le lanceur Semiorka, la capsule Vostok ainsi que Gagarine prennent leur envol

Deux heures avant le début de son vol, installé dans le cockpit, Youri reste calme et serein, malgré les fortes chances que la mission tourne au fiasco (fiabilité de la fusée estimée à plus ou moins 50%). Sa fréquence cardiaque ne dépasse pas les 60 battements par minute, et il demande même à écouter de la musique. A 9h07 précises, le lanceur Semiorka s’arrache du sol s’arrache au sol, et dans le vrombissement infernal de ses moteurs, on entend distinctement Youri prononcer son fameux « Poyehali ! » ou « Allons-y ! », suivi par « Au revoir, jusqu’à ce que nous nous revoyons, chers amis ! ». Durant l’heure qui suit, le cosmonaute en orbite enregistre ses impressions et remarque que les objets non attachés se mettent à flotter, il découvre l’impesanteur. 

Le lanceur Semiorka, la capsule Vostok ainsi que Gagarine prennent leur envol

Un atterrissage en catastrophe

Déviant de plusieurs centaines de kilomètres au nord, Gagarine se retrouve aux alentours de Saratov, dans le Caucase (ici un pont routier sur la Volga reliant cette ville à celle d'Engels)

A la fin de son voyage, lors de la rentrée atmosphérique de la capsule Vostok (qui d’ailleurs ne s’était pas déroulée comme prévue), l’équipement embarqué dans celle-ci commençait litérallement à fondre sous la chaleur. De fait, Youri Gagarine fut contraint de s’en extirper et de sauter en parachute à sept kilomètres d’altitude. La valve de son scaphandre devant servir à aérer la combinaison avec l’air ambiant ne s’est pas ouverte immédiatement, Youri se retrouvant alors durant un temps totalement asphyxié. Son lieu d’atterrissage ayant aussi été modifié, le cosmonaute se trouvait être directement dans la Volga, complétement gelée ! Heureusement Youri parvint à se poser plus loin dans un champ de pommes de terres… sans encombres.

Déviant de plusieurs centaines de kilomètres au nord, Gagarine se retrouve aux alentours de Saratov, dans le Caucase (ici un pont routier sur la Volga reliant cette ville à celle d'Engels)

Quand un extraterrestre arrive sur Terre...

Plus de peur que de mal pour Youri qui arrive à gagner la terre ferme ! Traînant son parachute, il part en rase campagne chercher du secours. Selon certaines sources, Gagarine alla à la rencontre d’une vielle femme et de sa petite fille, qui furent pétrifiées de peur devant cet homme à l’étrange accoutrement sorti de nulle part. Tentant de les rassurer, il aurait déclaré :

Dans l'après-midi du 12 Avril, des militaires prennent position des lieux de l'aterrissage du Vostok et en marque le lieu approximatif
Dans l'après-midi du 12 Avril, des militaires prennent position des lieux de l'aterrissage du Vostok et en marque le lieu approximatif

N'ayez pas peur, je suis un soviétique comme vous, qui est descendu de l'espace et je dois trouver un téléphone pour appeler Moscou !

Le major sur les ondes

Photographie prise à la base de Podgornoye, son premier lieu de passage. Youri se trouve au centre du groupe (à sa gauche nous voyons d'ailleurs le fils du Major Gassiev).

Gagarine a ensuite été emmené à un aérodrome local, où était postée une brigade d’artillerie. Là, ce fut l’euphorie la plus totale, chacun était extasié, heureux de voir ce héros, l’acclamant et lui demandant des autographes. Le cosmonaute va ensuite faire son rapport au plus haut gradé présent sur place, le Major Gassiev, qui lui donnera en signe d’admiration sa calotte d’artilleur ainsi que son attestation d’appartenance au Parti Communiste. Nikita Khrouchtchev, suite à l’exploit du cosmonaute, proposa de le faire monter en grade en tant que Capitaine mais dut se résoudre à « seulement » le faire passer Major. Mais il n’y a pas que dans le cercle politique que la nouvelle se répand. A la Maison de la Radio de Moscou travaille l’animateur Youri Levitan, qui depuis la guerre présente une grande émission radiophonique dans laquelle était diffusées toutes les nouvelles importantes, reçut le matin du 12 Avril, une lettre cachetée lui apprenant que Gagarine était allé dans l’espace. De nombreux témoins disent que l’homme avait alors couru euphorique dans l’étage entier, en criant à ses collègues qu’un soviétique avait tourné autour de la Terre.

Youri téléphonant à Khrouchtchev
Photographie prise à la base de Podgornoye, son premier lieu de passage. Youri se trouve au centre du groupe (à sa gauche nous voyons d'ailleurs le fils du Major Gassiev).
Youri téléphonant à Khrouchtchev

Voici un extrait audio de l’annonce radio émise par Levitan une heure après le vol de Gagarine et sa traduction :

« Moscou vous parle ! Moscou vous parle ! A toutes les stations radios d’Union Soviétique, à 10h02 heure de Moscou. Nous vous traduisons un message officiel à propos du premier vol habité au monde dans l’espace. Le 12 Avril 1961, fut mis en orbite terrestre l’engin spatial Spoutnik-Vostok, transportant un homme à bord. Le pilote-cosmonaute est un citoyen d’URSS, c’est le Major Gagarine, Youri Alexeïvitch [suit un enregistrement du lancement, où l’on peut entendre le « Poyehali » de Youri] ».

Le début d'une légende

Immédiatement après son exploit, Gagarine devient une véritable figure médiatique et est élevé au rang de héros national. Partout dans la presse internationale on célèbre sa bravoure et sa témérité, il est invité à rencontré les hauts dignitaires du régime et recevra de nombreuses distinctions. Youri est alors un véritable pionnier de la conquête spatiale et reçoit le privilège de pouvoir voyager dans une trentaine de pays (une occasion rare pour un soviétique) et rencontrer de nombreuses personnalités, telles que des premiers ministres, des présidents, des secrétaires d’état, des monarques, etc.

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Après son voyage, Gagarine fut décoré de nombreuses distinctions, telles que le titre de "Héros de l'Union Soviétique" ou bien la médaille de l'"Ordre de Lénine". Partout en Russie et dans le monde d'inombrables lieux et monuments reçurent son nom.
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Après son voyage, Gagarine fut décoré de nombreuses distinctions, telles que le titre de "Héros de l'Union Soviétique" ou bien la médaille de l'"Ordre de Lénine". Partout en Russie et dans le monde d'inombrables lieux et monuments reçurent son nom.

David contre Goliath

Les Russes ont obtenu une victoire incontestable sur leurs rivaux occidentaux dans la course à l’espace. Dans ce contexte de Guerre Froide, après la mise en orbite du satellite artificiel et de la chienne Laïka (tous deux en 1957), les américains sont dévastés par la nouvelle. En comparaison de leurs adversaires soviétiques, ils n’ont que peu avancé dans leur programme Mercury, visant à envoyer un des leurs dans l’espace. Alan Shepard s’envole le 5 Mai 1961 mais son vol restera moins médiatisé et redondant que celui de son homologue russe. Plus tard, le président JFR Kennedy, dans un discours resté célèbre, engageait son pays sur la Lune. 

L'américain Alan Shepard effectue une parabole suborbitale d'une altitude d'environ une centaine de kilomètres en quinze minutes, un "saut de puce"
L'américain Alan Shepard effectue une parabole suborbitale d'une altitude d'environ une centaine de kilomètres en quinze minutes, un "saut de puce"

"Quand j'ai tourné autour de la Terre, j'ai vu pour la première fois à quelle point notre planète est belle. Préservons cette beauté sans la détruire !"

Jusqu’à sa mort en 1968, Youri Gagarine restera victime de sa popularité, adulé telle une star internationale. Vétéran de la conquête spatiale, ayant prouvé au monde que l’avenir de l’homme se jouerait dans les étoiles, il sera écarté du programme spatial soviétique, et ne pourra jamais accomplir son rêve d’aller sur la Lune. De lui, il nous reste son sourire courtois et chaleureux, l’ombre de sa célébrité ainsi que la mémoire intarissable de son voyage. Premier des astronautes, il le restera à jamais…

 

Dorian

Bonjour les Terriens, comme vous l’aurez constaté, aujourd’hui c’est un article spécial écrit en collaboration avec le site internet « Space Tales », géré par Dorian, passionné par le secteur spatial depuis son plus jeune âge, qui vous a permis de découvrir l’envers du décor se cachant derrière cette figure majeure de l’aéronautique ! Vous retrouverez Dorian et ses articles à l’adresse suivante: (https://space-tales.blogspot.com/) que je vous invite à aller découvrir sans plus tarder, abonnez-vous aussi à ses pages Twitter (@Space_Tales) et Instagram (spacetalesblog) !

Quentin

Fondateur du blog spatial Space Tales - Co-rédacteur au Journal de l'Espace et à Proxima Astronomie. J'écris des articles et scripts sur l'espace pour le plaisir x) J'aime entre autres Monsieur Spock, Thomas Pesquet ou encore Elon Musk

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7 replies on “Youri Gagarine, le premier homme dans l’espace : Exploit et anecdotes”

  • Thibault Mariau
    09/05/2021 at 23:11

    articles super facile a lire et a comprendre. J’ai juste une petite question à une moment il est écrit: « que tous les autres astronautes après lui » mais ne devrait on pas parlé de cosmonaute ? vue que le terme d’astronautes est le nom pour désigner des spationaute américaines.

    • 10/05/2021 at 11:30

      Merci de ton commentaire ! En effet tu as raison je devrais plus parler de cosmonautes mais c’était plus pour éviter les répétions que j’ai employé ce terme ! Après si tu considères que de nos jours des américains viennent toujours à Baïkonour, ça prend un peu de sens… Ton message est donc très pertinent !

  • Theo
    10/05/2021 at 13:35

    Trés bon article, très detaillé et passionnant néamoins il y a une petite erreur, Allan Shepard a effectué son premier vol lors du programme Mercury et non Gemini.

    • Dorian
      13/05/2021 at 16:30

      C’est corrigé, mrc de l’avoir signalé !

  • Ibrahima Diallo
    12/05/2021 at 04:55

    Très bon article. Merci pour la passion et l’inspiration.

  • Dorian Httn
    13/05/2021 at 15:27

    Article très intéressant et instructif. Bravo à vous !

  • […] mois seulement après le premier vol historique de Youri Gagarine, les américains réagissent en envoyant Alan Shepard dans l’espace le 5 mai 1961. Le 15 octobre […]